Couple aux têtes pleines de nuages

Couple aux têtes pleines de nuages, Dali 1937

 

Ce diptyque, chef-d'oeuvre signé Gala Salvador Dali en 1937, et provenant de la collection du compositeur Italien Giacinto Scelsi, s'apprête à être mis aux enchères par Bonhams à Londres, le 15 octobre prochain. L'occasion pour nous de revenir sur ce tableau et l'histoire d'un couple mythique.

Ces deux peintures représentent la silhouette de Gala reposant sa tête sur l'épaule de Dali avec en fond les éléments de paysage cher au peintre, inspirés de leur environnement familier: la petite crique de Portlligat et des éléments picturaux de son invention, sur lesquels nous reviendrons par la suite.

Les deux toiles réunies ne forment plus qu'une seule composition, symbolisant le lien si fort qui les unissait. Depuis sa rencontre avec Elena Ivanovna Diakonova surnommée Gala, durant l'été 1929, celle-ci a prit une place prépondérante dans sa vie, devenant sa maitresse, sa femme, sa muse, sa mère et même son imprésario.

Mais la rencontre n'était pas si évidente. Dali a commencé à côtoyer le cercle des surréalistes par l'entremise de Juan Miro, en 1927 puis lors de son passage à Paris en 1928 pour la présentation du film surréaliste Un chien andalou, co-écrit avec Luis Bunuel. Suite au succès de cet évènement, Goemans le marchand d'art, Magritte le peintre et Eluard le poète accompagnés de leurs femmes sont venus rendre visite au peintre le fameux été de 1929 à Cadaqués. 

Gala face à la baie de Port Lligat, 1955

Le couple Gala/Eluard bien que marié depuis 1917 et parents d'une fille, bat de l'aile depuis quelques années, vivant mal le triangle amoureux formé avec l'amant Max Ernst, quitté un peu plus tôt. Dali se trouve très impressionné par ce couple à l'élégance française incarnant l'avant-garde parisienne et souhaite faire bonne impression. La seule façon qu'il a trouvée pour sortir de sa timidité excessive est de tenir un discours incohérent ponctué d'éclats de rire incontrôlés. Gala ne répond pas à l'humour absurde de son hôte et reste distante.

A une autre occasion, alors qu'il s'est déguisé pour créer un effet de surprise, il aperçoit Gala au loin. L'image d'une petite fille russe glissant sur la neige en traineau lui vient en imaginaire et il se rend compte que cette enfant symbolise la femme dont il a toujours rêvé. Finalement, ils auront une discussion en privé autour d'un tableau qui divise les surréalistes en raison de son caractère potentiellement scatologique: Le Jeu lugubre. Dali s'empresse de démentir ces rumeurs. S'ensuit un rapprochement des deux, qui ne se quitteront plus. 

Le jeu lugubre, Dali 1929

« Elle serait ma Gradiva, ma victoire, ma femme. Mais pour cela il fallait qu'elle me guérisse. Et elle me guérit, grâce à la puissance indomptable de son amour dont la profondeur de pensée et l'adresse pratique dépassaient les plus ambitieuses méthodes psychanalytiques » Salvador Dali.

Elle va l'aider à mettre au point sa méthode paranoïaque-critique et à rentrer à la fois dans le cercle des surréalistes mais aussi dans celui des mondains. Ensemble ils vont conquérir le monde. Ils s'installeront d'abord à Paris puis à Portlligat dans les années 30 car le père de Dali qui n'accepte pas sa relation avec une femme divorcée les a chassés de Cadaques.

En 1936 lorsqu'éclate la guerre civile espagnole, ils s'exilent en Europe où ils passent un peu de temps en Italie. C'est à ce moment là que Dali est influencé par l'art italien de la renaissance et par l'absurdité de la guerre, et qu'il invente notamment sa girafe en feu, thème que l'on retrouve dans l'Invention des monstres en 1937 et dans notre tableau. Il répond à un premier diptyque peint en 1936 du même nom qui se trouve aujourd'hui dans les collections du musée de Boijmans Van Beuningen à Rotterdam. 

 

Mystère et mélancolie d'une rue, De Chirico 1914

La petite fille que l'on entrevoit sur le tableau/personnage de gauche est déjà présente dans le triptyque de 1936 intitulé Paysage avec une jeune fille sautant à la corde. Certains y voient l'influence de Giorgio De Chirico avec Mystères et mélancolie d'une rue, peint en 1914. Les surréalistes avaient l'habitude de s'interroger sur cette oeuvre et se demandaient notament ce qui allait arriver à la petite fille. Le tableau laisse place à la rêverie et à de nombreuses interprétations.

Il n'est pas si sûr que les deux silhouettes représentent le couple, on pourrait l'interpréter comme un hommage à son ami d'enfance Federico Garcia Lorca, mort fusillé en 1936. Celui-ci a entretenu avec Dali dans les années 20 une amitié amoureuse et son décès a plongé Dali dans une période de dépression. Cela pourrait également représenter la relation ambigüe de filiation, qu'a entretenue Dali avec son mécène Sir Edouard James à ce moment là.

Au delà de ces hypothèses, Dali a toujours mis sur le devant de la scène son amour pour Gala, véritable moteur de sa carrière et gouvernail de sa vie pour le plus grand plaisir du spectateur qui se laisse volontiers transporter dans la liberté de ses rêveries.

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