Quelque chose en nous de Pierre Richard

Film ''Le grand blond avec une chaussure noire'', 1972

Pourquoi réduire Pierre Richard à sa chaussure noire ? Si cette figure de style, qui consiste à réduire un tout par sa partie est possible dans notre esprit, c'est parce que l'acteur a su créer un personnage qui l'a dépassé, devenu un symbole dans le paysage du cinéma comique français. Mais ce libre rêveur n'apprécie pas les raccourcis et échappe sans cesse aux cases dans lesquelles on veut l'enfermer, nous empêchant de le réduire à ce trait.

Son personnage s'est construit naturellement au fil du temps. Dès ses années de pension, il a utilisé le ressort comique pour se défendre, prenant le rôle de ''fou du roi'' en s'attirant les bonnes grâces du caïd de la classe. Puis, à l'age de 18 ans il a eu une révélation en voyant le film américain « Le bouffon du roi » avec l'acteur Danny Kaye, vedette de la comédie et du music-hall Outre Atlantique, auquel il s'est immédiatement identifié. Il avait alors la certitude de vouloir faire la même chose que lui, sans savoir encore comment. Le ''comment'' lui sera soufflé par le réalisateur Yves Robert, qui lui dit ''Tu n'es pas un acteur, tu es un personnage''. Après avoir intégré cette réflexion, Pierre Richard a décidé de se lancer dans l'écriture de son premier film ''Le distrait'' qu'il lui a soumis. Ce dernier conquis par le projet, a tout de suite souhaité le produire et demande à l'acteur d'en être le réalisateur.

Affiche du film, ''Le distrait'', 1970

Les spectateurs français découvrent en 1970 ce personnage burlesque, en décalage avec la réalité, inadapté, et qui enchaine les farces avec son corps comme instrument et sa rêverie comme orientation. Pierre Richard suit instinctivement la voie de ses modèles, tels que Buster Keaton, Charlie Chaplin, Jacques Tati ou encore les Marx Brothers qui se servent davantage de leur corps pour s'exprimer que du langage. Il affirme par ailleurs être un acteur ''plus à l'aise avec ses jambes qu'avec sa langue''.

Les films qu'il réalise lui permettent au-delà du caractère comique, de ''lancer des pétards'' et de dénoncer des absurdités de la société contemporaine. Ainsi, ''le Distrait ''dénonce la publicité de masse dans une société post soixante-huitarde. Il s'indigne des jeux télévisés dans ''Les malheurs d'Alfred'' et critique les marchands d'armes dans ''Je ne sais rien mais je dirai tout''.

Par la suite, son personnage est courtisé par de nombreux réalisateurs. ''J'ai mis mon personnage au service des autres''. Il tourne le célèbre film ''Le grand Blond avec une chaussure noire'' en 1972. Ensuite, avec la trilogie de Francis Veber, dont le premier volet est le film ''La chèvre'', il forme avec Depardieu un duo qui devient emblématique du comique français. Qu'il suive l'autoroute de la comédie ou qu'il prenne des chemins de traverse, son humour dépasse les frontières de la France et remporte un très grand succès. 

Pierre Richard et Gerard Depardieu

Sa carrière prolifique se poursuit encore aujourdhui. En effet, après être monté sur scène l'année dernière, à 85 ans , dans la pièce intitulée ''Monsieur X'' de Mathilda May, et s'être senti parfaitement à l'aise dans cet univers sans paroles, poétique et surréaliste, il se renouvelle avec la sortie d'un album onirique ''Nuit à jour'' le 27 novembre 2020, où il interprète des extraits de ''Petit éloge de la nuit'', de l'écrivain Ingrid Astier, sur la musique de Jean Baptiste Hanak. 

Molière du ''Seul en scène'' pour la pièce ''Monsieur X'' de Mathilda May, 2020

Si son univers nous touche toujours autant aujourd'hui, c'est parce qu'on peut s'identifier à lui. Parce qu'en se plaçant en dehors des codes du langage et en utilisant son corps comme vecteur de ses émotions, il nous conduit à la frontière entre le rêve et la réalité, et nous pousse à l'imagination. Il cultive l'art du déséquilibre et de l'échec, des vertus, qui, lorsqu'elles sont bien intégrées, sont de formidables sagesses pour s'adapter à un monde qui avance à une vitesse effrénée et dont on ne comprend plus bien la direction. Il reste indigné par de nombreux sujets, notamment par la cause environnementale et écologique de la planète.

À se demander, entre le réel et Pierre Richard, qui est le fou , qui est le roi ?

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